Quelque peu engourdis par une année de vie sédentaire, le besoin de traînailler à nouveau sur la route me titillait fortement. L’occasion s’est présentée lorsque deux amis, Yannick et Patrick Sévèque, frères jumeaux, m’ont averti qu’ils allaient vadrouiller pendant plus d‘un mois dans le Sud de la Chine. Je leur ai donc proposé de les accompagner en voiture pendant une semaine dans la région du Guizhou que j’avais déjà visité lors de notre
traversée de la Chine à vélo avec Philippe en 1995.

Il me fallut deux jours pour parcourir les 600 km de zone montagneuse qui séparaient Yangshuo de notre point de rencontre dans la ville de Kaili. Ce ne fut pas si simple. Le premier jour déjà, j’ai failli m’éparpiller en petits morceaux après avoir roulé par mégarde sur une longue bouteille de gaz utilisée par des soudeurs. L’embouchure de celle-ci se coinça dans le pneu avant droit qui se déchira et entraîna la bouteille dans le bouclier du pare-chocs. Heureusement je n’eus à subir aucune explosion, mais mon pneu, ainsi que la calandre, étaient hors service.

Le dépannage et les réparations chez le garagiste local furent rapides. Mais ce fut quand même du temps perdu qui s’accumula rapidement lorsqu’au bout de 150 km le goudron se délesta complètement de la chaussée pour laisser place à une piste particulièrement cahoteuse et boursouflée. Ici et là des camions embourbés et des glissements de terrain bloquaient le passage, si bien que ce n’est qu’en pleine nuit, et couvert de poussière, que j’achevais péniblement ma première étape.
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Le lendemain changement de ton. Bien que le Guizhou soit considéré comme l’une des régions les plus défavorisées du pays, le gouvernement local tente depuis quelques années de développer le tourisme en exploitant les nombreux « sites ethniques » dont elle dispose. Les perspectives touristiques ont encouragé le développement de toutes les activités culturelles liées aux minorités. Les villages ethniques sont désormais considérés comme une richesse nationale capable d’attirer la curiosité des voyageurs et de nouveaux capitaux, améliorant, du même coup et de manière considérable, les infrastructures routières.

C’est donc avec un grand plaisir que je me retrouve en compagnie de Yannick et Patrick. Centenaires à eux deux, les jumeaux alternent depuis trente ans leur vie professionnelle chez Renault et leur passion du voyage. Chaque année ils partent une ou deux fois à l’étranger, la plupart du temps en individuels. C’est leur cinquième voyage en Chine qu’ils avaient déjà parcourue une première fois il y a 25 ans alors que le pays s’ouvrait à peine au tourisme !
Bourgades du bout du monde
Tant bien que mal, nous nous installâmes dans la petite AX fragilisée par le poids de notre trio et de nos bagages (nous avons dû intervenir de manière peu orthodoxe sur la bague d’appui de la roue arrière droite qui continuait à frotter sur le passage de roue). Mais en dépit du mauvais traitement que nous lui avons une nouvelle fois infligé, à l’épreuve elle se révéla toujours aussi vaillante.

Notre parcours nous amena de village en village, d’abord sous la pluie et dans la brume, ne faisant pas démentir l’adage populaire local qui prétend que dans cette province il n’y a pas trois jours sans pluie. Mais très vite le ciel c’est éclairci, nous dévoilant un paysage magnifique, où les cultures en terrasse s'accrochent en lambeaux effilochés sur les flancs des montagnes, tandis que les plaines sont tâpissées, en cette saison, d'une impressionnante mosaïque de vert et de jaune.

Quel contraste avec la modernité aguichante et frénétique de la ville de Kaili. Dans cette région montagneuse, longtemps restée inaccessible, le mode de vie traditionnel est encore très éloigné de la modernisation qui touche le reste du pays. Ici vit une population diverse, composée à 35% de plus de 18 minorités, dont les Miao et les Dong (Sur les 56 minorités répertoriées en Chine).

D’un village à l’autre on mesure l’impact perturbateur de ce « tourisme ethnique » lequel, à des degrés divers, a déjà influencé le comportement des habitants. Quelques-uns portent quotidiennement le costume traditionnel que l’on arbore habituellement les jours de fête, tandis que d’autres, sollicités par les touristes pour des photos (les touristes chinois sont bien plus nombreux), réclament de l’argent en échange de poses. En réalité nous-mêmes avons été très peu sollicités en ce sens (hormis dans les rizières de Longji. Voir ci-après.) et l’accueil resta plutôt sincère et sympathique. Car une “folklorisation” trop poussée impose vite ses limites, amenant certains groupes de touristes à se tourner vers d’autres villages locaux plus « authentiques ». La région est vaste, et les villages nombreux, on peut facilement s’y perdre et partir à la découverte de villages encore peu visités.
En fait chacun y trouve son compte. L’ethnologue Caroline Grillot rapporte que “Les traditions, habituellement reléguées au rang de superstitions, se voient ainsi soudainement promues. Les Miao de Xijiang savent désormais tirer bénéfice de l’intérêt porté à leur fête [et à leur village]. Ils ont compris que la seule voie d’expression identitaire publique qui leur soit accordée dépend de ces concessions… La folklorisation est un mode de représentation peu à peu intégré et qui ne fait pas vraiment réagir la majorité d’entre eux. Le discours identitaire est déjà moins dépendant de l’éducation traditionnelle que des influences extérieures transmises dès l’école, relayées par les médias.” « L’Impact de la folklorisation dans l’expression identitaire. La fête de Guzang chez les Miao de Xijiang », Ateliers, Chiner la Chine

Ce sont 25 km de piste en lacet, grimpant et s’insinuant avec acharnement dans la brume, qui nous conduisent au nord-est de Kaili, jusqu’à notre premier village. Fanpai est à classer dans la catégorie des bourgades du bout du monde. Pas d’auberges ou de gargottes. Les maisons traditionnelles Miao sont toutes construites en bois sans clous ou rivets. Coiffées de tuiles noires, elles sont posées en équilibre précaire sur pilotis et s’échelonnent à flanc de colline dans un désordre parfait.

Égarés dans le dédale d’allées bétonnées, nous seront invités à nous restaurer chez l’un des habitants. L’occasion pour nous de découvrir l’intérieur de ce chalet chinois, et de goûter au plat du jour particulièrement épicé. Le maître de maison s’empressa de nous faire visionner une cassette vidéo de fêtes traditionnelles sur son poste de télévision récent, visiblement flatté de l’intérêt et de la considération que nous lui témoignons. Peu de femmes portent encore le costume ethnique, relégué à sa plus simple expression. Mais la vie semble s'écouler ici de façon immuable, notre présence perturbant à peine le bon déroulement de cette journée ordinaire. Ainsi, un chien sera pendu au pont du village, sommairement sacrifié sous nos yeux en trois coups de barre de fer vigoureux. Le chat Miao miaule, le chien Chinois choc !

Changement de programme, après ce village isolé nous découvrons deux importants carrefours du tourisme local. A savoir les villages Miao de Langde et de Xijiang, accessibles depuis peu de temps par de belles routes goudronnées.
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En fait, l’affluence des touristes ne se fait vraiment sentir que lorsqu’un car affrété par un tour operator débarque sur place. Or nous n'en avons quasiment pas vu, rendant notre promenade plutôt plaisante. Cependant lorsqu’une visite de groupe est organisée au village de Langde, il est d’usage d’assister aux rituels traditionnels d’accueil des hôtes en buvant dans une corne de buffle l’alcool de riz local, servi par des jeunes filles sur les escaliers du village ! Elles peuvent aussi, à l’annonce de l’arrivée de nouveaux visiteurs, se parer de leurs plus beaux costumes et interpréter quelques danses pour leurs hôtes. Ici et là il y a bien quelques artisans qui nous ont proposé des parures d’argent et des bijoux (de longues cornes fixées sur une couronne composée d’un assemblage complexe d’orfèvrerie, de lourds colliers, bracelets...), un artisanat qui fait la renommée des Miao.

Abstraction faite de ces mises en scènes ponctuelles, calquées sur d'anciennes traditions culturelles, Langde et Xijiang sont deux villages plutôt bien préservés qui méritent le détour, tant pour la qualité architecturale de leurs habitations, que pour l’ambiance sereine qui y règne et la beauté des sites.


Le village de Xijiang entouré de rizières luxuriantes et de bambous, est considéré, selon la formule consacrée chinoise, comme étant le plus grand village Miao du monde ! Les mille foyers (approximativement 5 000 habitants) possèdent tous un lien de parenté avec les ancêtres fondateurs.
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Nous avons eu la chance de le visiter un jour de marché. Les marchés, à la fois bigarrés et animés, sont nombreux dans la région. Ils attirent les villageois des hameaux voisins et restent une source de cohésion sociale importante.

Canidé en tête... de gondole.
Contrairement à la majorité Han chinoise, les minorités peuvent avoir plusieurs enfants : l’école de Xijiang doit donc être à la hauteur.
La modernité tisse sa toile de fils électriques, reliant poteaux et antennes paraboliques
Sujets Internes :
Au pays des Dongs
Villages de Zhaoxing et de Chengyang.
Les tours des tambours.
Ponts du vent et de la pluie.
Au pays des Zhuang et des Yao
Passage dans la province du Guangxi.
Le pont du vent et de la pluie de Chengyang.
Les rizières en terrasses de Longji.
Carte touristique du Guizhou
Carte en français et en grand format des principaux sites d'intérets du Guizhou.
Liens vers d'autres cartes en chinois et en anglais.

Liens utiles :
Minorités du Guizhou Voyage Agence de voyage spécialisé dans les circuits touristiques sur le Guizhou. Infos sur
les dates des festivals des minorités dans la région.
Tribal textiles
Site en anglais avec de nombreuses photos.
Chine EthnicSite en français sur les ethnies du sud de la Chine. Nombreux liens notamment sur l'actualité culturelle des minorités chinoises en France.
Couleurs de Chine
Une association de parrainages d'enfants dans le Guangxi.
China Roads
Une agence de voyage française proposant dans la région des circuits sur mesure, classiques ou hors des sentiers battus.
Libellés : AX, chien sans tête, guizhou, miao, minorité ethnique, piste défoncée, village pittoresque
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Autres liens :